Quand LSU recrutait derrière le rideau de fer.

Cet article est inspiré d’un article récemment paru dans “Sports Illustrated”.

Hier Drazen Petrovic, la légende du basket croate disparu tragiquement en 1993 aurait eu 50 ans. On a revu un peu partout sur les réseaux sociaux images, photos et hommages de celui qui fut l’un des pionniers du basket européen en NBA. Ceux d’entre nous qui sont assez âgés pour se souvenir de cette glorieuse époque du basketball pro se souviennent aussi que l’autre grand joueur européen de la fin des années 80 le lituanien Arvydas Sabonis n’arriva malheureusement en NBA qu’en toute fin de sa glorieuse carrière. Il faut dire qu’en cette fin de guerre froide le rideau de fer était encore un frein solide aux passages d’un Continent à l’autre dans le monde du sport. Les histoires croustillantes dans le hockey tchèque ou russe par exemple sont légion mais les rendez-vous manqués entre Sabonis et le basket américain méritent à eux seuls d’être racontés…

Sabonis fut pourtant repéré très jeune aux Etats Unis. En effet à 17 ans il fait partie d’une équipe de l’URSS qui fait une tournée aux Etats Unis. La sélection soviétique joue 12 matchs contre certaines des meilleurs universités NCAA et le jeune pivot fait parler de lui partout où il passe. Il domine notamment le futur numéro 1 de la draft, Ralph Simpson, lors du match contre Virginia. Trois ans plus tard les Hawks d’Atlanta le draftent au 4ème tour mais la NBA annule la sélection car Sabonis n’a pas 21 ans. Et au printemps 1986 ce sont les Trailblazers qui utilisent carrément leur premier tour de la draft 1986 pour avoir les droits sur lui… au cas où le rideau de fer le laisserait passer.

Il faut dire que depuis que Gorbatchev est au pouvoir à Moscou l’année précédente on sent frémir quelque chose dans les relations entre les deux blocs. Au somment de Genève en novembre 85 Reagan et « Gorbi » ont beaucoup parlé désarmement et aussi développement d’échanges mutuels dans les domaines de la science de la culture et du sport. Des paroles qui ne sont pas tombées dans les oreilles d’un sourd du côté des franchises NBA qui lorgnent depuis longtemps sur ces joueurs soviétiques qui gagnent la plupart des compétitions internationales à l’époque.

Le principal point de blocage est à trouver du côté du CIO. En effet les Jeux Olympiques restent la compétition internationale clé, celle où les deux super-puissances aiment à comparer leurs succès. Apres les boycotts occidentaux de 1980 et communistes de 1984, les Jeux de Séoul qui s’annoncent pour l’été 1988 sont attendus par tous comme le plus grand rendez-vous du sport mondial depuis Montréal 1976. Des Jeux qui sont alors encore 100% amateurs. Pas question pour les Soviétiques de laisser filer, même pour une compensation généreuse, leur meilleur joueur en NBA et de lui faire perdre son statut de sélectionnable pour Séoul.

C’est dans ce contexte que Dale Brown le coach de LSU commence à rêver. Sabonis en NCAA, et surtout chez les Tigers, ce serait pour tous et surtout pour lui un parfait deal « win win ». Les deux blocs pourraient communiquer sur ce spectaculaire signe de dégel, Sabonis pourrait porter le maillot soviétique à Séoul et LSU aurait le meilleur joueur amateur de la planète !

Il prend alors sa plus belle plume et avec autant de naïveté que d’opportunisme écrit à Reagan et Gorbatchev à ce sujet. Il y met bien sûr les formes parlant d’une tournée de LSU en Union Soviétique, de camps regroupant des jeunes basketteurs de Bâton rouge et Moscou et de cérémonies spectaculaires pour célébrer l’événement. Il prévoit même une double signature de Sabonis à LSU sur la Place Rouge et devant la Statue de la Liberté !

Reagan, via Mark Parris responsable du Bureau Américain des Affaires Soviétiques lui répond : Le gouvernement veut bien l’aider dans ses projets de tournée en URSS et de camps mais pour Sabonis il peut oublier ! Brown ne se décourage pas et se déplace à Moscou, quasi seul, pour assister aux « Goodwill Games » qui ont lieu là en mai 86 espérant rencontrer Sabonis en personne. Peine perdue il ne peut approcher les délégations d’athlètes.

Opiniâtre, il ne rentre pas aux Etats Unis mais file alors pour Madrid où vont avoir lieu début juillet les Championnats du Monde. Il recrute une jeune étudiante en journalisme Rima Janulevicius, lituanienne comme Sabonis pour espérer contacter le joueur sur place. Celle-ci se rend à El Ferrol où les Soviétiques jouent leurs matchs du premier tour. Elle prend une chambre dans le même hôtel qu’eux et arrive à appeler la chambre de Sabonis. Le dialogue entre compatriotes s’engage et ils arrivent à se voir le lendemain dans la rue devant l’hôtel. La jeune étudiante lui demande si ils sait qu’il a été drafté deux semaines plus tôt par les Blazers. La nouvelle n’a pas passé le filtre de la censure soviétique. Sabonis tombe des nues. Elle lui demande alors si il aimerait jouer aux Etats Unis. « Oui bien sûr ». “Pour une université ? “ “Oui”. Et là le grand pivot se met à rire. Flatté mais réaliste il explique à Rima qu’ils ne le laisseront jamais partir avant les jeux de Séoul même pour une université. Et qu’il ne prendra pas le risque de fuir à l’Ouest de manière clandestine par peur de représailles sur sa famille et ses amis.

Informé Brown ne voit que la bouteille à moitié pleine, n’entend que le « oui » de Sabonis. Il parle publiquement de cet intérêt et un journal de Bâton Rouge fait même un sondage auprès des fans. « Seriez-vous prêt à ce qu’un soviétique joue pour les Tigers ? ». Dans l’Amérique de la guerre froide la résultat est sans appel : 63% des réponses sont un « non Merci, autant perdre sans que gagner avec un « rouge » ». Mais il en faut plus pour faire oublier son rêve à Brown. En août il obtient avec Parris un rendez-vous à l’Ambassade soviétique à Washington pour parler de ses projets de camp et de tournée, il passe sur CNN à ce sujet le 23 août et il se donne une dernière chance pour faire craquer Sabonis : La coupe du Monde des clubs qui a lieu en Argentine début septembre. Rima Janulevicius est à nouveau du voyage. Le duo est prêt à tout y compris filer en douce avec Sabonis vers l’ambassade occidentale la plus proche. Sabonis refuse poliment.

Informés de la nouvelle expédition de Brown le gouvernement décide de mettre fin à la mascarade et le doyen de LSU reçoit la visite de deux fonctionnaires du Département d’Etat lui demandant d’arrêter immédiatement les efforts de son coach qui pourraient dégénérer en incident diplomatique. Brown doit faire une croix sur son rêve. Mi-octobre, pour clore définitivement le dossier il reçoit une lettre de Platonov, le secrétaire de la fédération soviétique toute en ironie et langue de bois. « Merci de votre invitation et offre faite à Arvidas Sabonis pour jouer à Louisiana University” … “Nous apprécions grandement l’intérêt que vous portez à un joueur soviétique mais Arvidas a l’intention de continuer ses études à l’Academy Lituanienne d’Agriculture et de jouer pour le club de Zhalgiris et l’équipe nationale ». Il va sans dire que LSU ne fit jamais de tournée ni de camp en URSS.

Sabonis se blessera au talon d’Achille l’année suivante et les Russes inquiets à quelques mois des jeux utiliseront à leur profit l’intérêt des Américains pour leur star. Les Blazers qui détiennent toujours ses droits NBA l’accueilleront en effet en avril 88 non pas pour jouer mais pour soigner et rééduquer avec le staff médical de l’équipe son pied. Avec succès puisque l’URSS remporte avec Sabonis la médaille d’Or à Séoul.

Les Jeux passés, l’ouverture Gorbatchévienne se confirmant, les autorités laisseront alors Sabonis partir jouer en professionnel. Mais ce dernier encore convalescent et pas sûr de pouvoir gagner sa place en NBA préférera partir vers le championnat espagnol. Valladolid d’abord puis surtout le grand Real de Madrid. Il va aussi, bien sûr, porter le maillot de son pays redevenu indépendant en 1990 et participer avec éclat aux JOs de Barcelone 1992 sous le maillot lituanien. Peut-être le grand moment de sa carrière. Dans un pays où il est devenu une grande star et un homme riche il va affronter la Dream Team, la vraie, en demie finale puis gagner la médaille de bronze contre, bien évidemment, les Russes. Dans l’euphorie générale, le maillot « tie-dye » hommage à Grateful Dead de la sélection lituanienne reste un symbole surréaliste et mythique de ce tournoi olympique de Barcelone, sans doute le plus marquant de l’histoire du basket.

Vainqueur du Final 4 Européen avec le Real en 95, Sabonis va finalement partir vers la NBA, 13 ans après la tournée qui l’avait révélé. Il rejoint, déjà sur le déclin, les (très) patients Trailblazers avec qui il va avoir une jolie petite carrière de 8 saisons qui laissera à tous ses fans d’immenses regrets. Il y aurait eu sans doute une place pour Sabonis dans l’incroyable galaxie de stars (Magic, Bird, Jordan, Ewing, Malone, Stockton, Barkley….) de la NBA de la fin des années 80 et du début des années 90. Surtout dans une équipe des Blazers particulièrement attractive à l’époque (deux fois finalistes en 90 et 92 avecClyde Drexler, Terry Porter et, la boucle est bouclée, Drazen Petrovic).

Apres sa carrière Sabonis s’est installé avec sa famille dans son pays d’adoption, l’Espagne, à Malaga. Mais l’histoire compliquée des Sabonis et du basket américain n’est pas encore terminée. Son fils Domantas (à la triple nationalité Lituanienne, Espagnole et Américaine !), né à Portland et formé à Malaga, 18 ans, va commencer dans quelques jours sa carrière NCAA sous le maillot de Gonzaga. A suivre…

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